L'HOMME DE SCIENCE (2)

Il en expose les principes et leur genèse d'abord dans ses séminaires hebdomadaires qui se déroulent sur plus de trente ans, et qui attirent  en grand nombre, non seulement des étudiants, doctorants ou non, mais aussi  des collègues universitaires du Grand Ouest, et ensuite dans son ouvrage en trois volumes sous le titre : « Du Vouloir Dire. Traité d’épistémologie des Sciences Humaines » 

 

Il donne à ce modèle le nom de « théorie de la médiation » qui est une théorie de la rationalité considérée comme mode spécifique d'accès à l'humain, à la culture, par le réaménagement de l'hominidé que naturellement il est, dans l'homme que culturellement il devient, selon quatre plans que la clinique a permis de mettre en évidence.

Il précise ainsi cette reformulation faite à la lumière de la clinique :

« La première chose qui apparaît, dès qu'on se met à traiter cliniquement du langage, c'est que le langage ne peut plus, finalement, constituer un objet scientifique. Qu’a fait la linguistique ? Elle a tout simplement pris le langage comme un tout, sans s’inquiéter de savoir ce qui précisément le constitue. J’ai commencé de la même manière : ma formation initiale était saussurienne, j’ai cru que le langage existait ! J’ai pris le langage au sérieux. Or la clinique — aphasiologique, en l’occurrence— m’a montré que ce qui était en cause, dans l’aphasique, c’était uniquement la grammaticalité du langage, non pas son écriture, ni la capacité de communiquer, ni non plus, enfin, celle d’auto-censurer ses propos. Autrement dit, le langage en tant qu’écriture, en tant que ce que j’appelle « langue » et en tant que ce que j’appelle « discours » reste indemne chez l’aphasique. D'où l'éclatement du concept de langage, c'estàdire que ce que les linguistes prenaient pour un objet n'en était pas un, mais quatre. Il a fallu faire là, d'une certaine manière, ce qui arrive dans toutes les sciences, à savoir le « deuil » de l'objet, et multiplier par quatre les points de vue, les angles sous lesquels nous apercevions ce qui nous apparaissait comme étant une réalité unique. »

« Ce qu'il faut bien voir, c'est que ces dissociations, ce n'est pas nous qui les avons artificiellement créées. Ce sont les différentes « pannes » des aphasiques qui nous les ont fait découvrir. C'estàdire que nous avons essayé d'envisager, à travers les différentes formes d'aphasie, toutes les dissociations possibles des processus sous -jacents à l'expression linguistique. Nous essayons de faire apparaître la rationalité inhérente à l'objet que nous décrivons. C'estàdire que faire des sciences humaines, c'est traiter l’homme selon le fonctionnement qui lui est spécifique. S’agissant du langage, cela impliquait que la formalisation n’était plus l’œuvre du linguiste, mais qu’elle était bel et bien dans l’objet. L’homme, si vous voulez, spontanément formalise, même si c’est sans le savoir, un peu comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. Il n’était donc pas du tout question d’introduire la raison dans le langage, mais de faire émerger, de manière aussi expérimentale que possible, la raison présente dans le langage. » (*)

(*) entretien accordé à la revue Filigranes, 1997

 

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